Pestoline (technique)
Un pendule de Foucault n’est simple à réaliser que s’il dépasse 2 mètres de long. Or le mien doit impérativement avoir un balancier de 1 mètre pour pouvoir indiquer les secondes. Rares sont par le monde ceux qui ont pu réaliser de petits pendules qui fonctionnaient de manière satisfaisante. Je dois citer ici les pionniers Haym Kruglak et Stanley Steele en 1984 et H Richard Crane en 1981. Les deux principaux problèmes des petits pendules sont la suspension et la précession de l’ellipticité. Le problème de la suspension est de loin le plus important, car elle se doit d’être parfaite faute de quoi le pendule n’oscillera que dans le plan qui lui est le plus facile. Une autre solution est de couler le fil dans du métal. Mais la température de fusion détruit souvent les spécifications du fil d’acier de suspension. Une suspension plus courante est de faire passer le fil dans un mandrin de précision. Mais là aussi le balancier se choisira une position préférée et se stabilisera sur un plan. Car les mandrins du commerce ont tous de petites imperfections. Richard Crane passait le sien dans un tour pour polir les mâchoires avec un abrasif très fin. A cette seule condition le pendule pouvait fonctionner. L’autre problème est la manière d’éliminer la précession de l’ellipticité. Ce phénomène n’apparaît que pour les petits pendules et empire à mesure que l’on réduit leur longueur. Cet effet indésirable peut être quelque un peu amoindri en interposant un anneau de Charron parfaitement usiné et poli au dixième supérieur de la longueur du balancier.
Voici donc le premier prototype qui fonctionna vraiment, celui qui était destiné à servir de banc d’essais pour la construction des autres. Il était aussi destiné, une fois tous les tests effectués, à finir ses jours dans ma cuisine. Car je n’avais pas de pendule à la maison….
La potence a trois fonctions: soutenir le balancier, guider très précisément le fil du balancier (au centième de millimètre) et permettre de régler la longueur du balancier même pendant qu’il bouge. C’est une fonction que l’on ne retrouve quasiment jamais sur les pendules mais qui devrait se révéler très pratique par la suite. J’ai abandonné l’idée du mandrin car il étais trop difficile à usiner avec mes pauvres moyens et ne permettait aucun réglage une fois serré. Au lieu d’être serré entre des mors, le fil d’acier (0.18mm) traverse le trou d’un saphir, monte autour d’une roue, et redescend pour être bloqué au fond. Une vis de réglage permet de courber le fil après la roue et donc d’agir sur la hauteur du balancier. Je peux même y ajouter une compensation de température bimétallique si je veux.
Maintenant voyons ce qui va différencier ce pendule de tous les autres qui ont étés fait jusqu’ici, à savoir qu’il sert aussi d’horloge. A ma connaissance, un seul autre homme l’a déjà tenté: H. Richard Crane (Université du Michigan). La lecture du temps qui passe se faisait en lisant le passage du balancier sur un cercle gradué au fond. Mais son pendule ne peut pas être considéré comme une vraie horloge dans le sens qu’il avait besoin d’une base de temps extérieure, un timer qui faisait stopper la rotation du pendule 6 heures par jour. Le mien, par contre, doit tout faire à la fois: vraie horloge et pendule de Foucault. Dès lors, les problèmes soulevés deviennent très intéressants. Par exemple: comment assurer la compensation en température du balancier dès lors que l’invar m’est interdit? (comme l’invar est magnétique, ce pendule deviendrait rapidement une boussole) Ou alors comment indiquer l’heure avec le balancier sachant que celui-ci aura une graduation incompatible avec 24 heures?
Beaucoup de gens pensent encore qu’un pendule de Foucault fait une rotation sur lui-même toutes les 24 heures. Cela n’est vrai qu’au pôle nord dans le sens horaire et au pôle sud dans le sens antihoraire. Plus on descend en latitude, plus il tourne lentement. A Paris, il est de 32 heures. Chez moi, à Sion (Suisse), il est de 33h26. A l’équateur, il a un temps de rotation théoriquement infini. Crane stoppait la révolution du balancier 6 heures par nuit (entre minuit et 6 heures) à l’aide d’un électro-aimant supplémentaire commandé par une horloge.
Quelques faits.
Pendule propulsé électromagnétiquement par un électro-aimant chaque fois qu’il détecte le passage du balancier. Laiton pour quasiment toutes les pièces dans le but d’éliminer les problèmes de magnétisme. Affichage de l’heure sur le cadran (heures minutes et secondes) et affichage de l’heure en bout de balancier. Le disque au tiers supérieur sert à bloquer la chute du balancier si le fil venait à rompre.
La stabilisation de l’amplitude utilise une autre découverte de Léon Foucault: le frein. Il s’agit ici de l’anneau gradué non magnétique, aux dimensions très précises et placé en bout de course du balancier. Le passage de l’aimant provoque des courants induits dits « de Foucault » qui le freinent à chaque oscillation.
Des montagnes russes: c’est ce qu’a donné le premier test de Pestoline. Ce test fut pris dans mon atelier alors que la hauteur du balancier n’est pas réglée, que l’anneau de Charron n’est pas centré et que je travaille toute la journée autour. On peut pourtant découvrir pas mal de phénomènes intéressants. Sur ce document, qui couvre deux jours, nous pouvons que des perturbations cycliques reviennent trois fois. Diviser le nombre de jours couvert par ce graphique par le nombre de cycles nous donne le chiffre de 16,5: c’est le nombre d’heure qu’il faut au balancier pour faire une demi-révolution sur lui-même. Ce qui nous donne 33 heures pour une révolution complète, soit une marge de 1% d’erreur. (Il faut prendre ce chiffre avec des pincettes: je fais d’habitude des mesures qui durent entre une semaine et un mois pour faire de vraies mesures de précision.)
Les perturbations que nous pouvons voir proviennent de l’anneau de Charron. Il n’est pas encore bien centré et l’on peut y déceler quelques défauts d’usinage. J’ai refait le même test sans l’anneau de Charron: la ligne était parfaitement plate, par contre la course du pendule était elliptique et l’effet de Foucault à peine décelable.
Après quelques réglages, centrages et équilibres, voici ce que révèle l’ordinateur:
Ce graphique nous révèle que Pestoline avance de 7.8 secondes par jour, ce qui se règle très facilement en descendant un peu le balancier. Mais il y a plus important: la succession de pics (chacun indiquant une révolution du pendule) est devenue plus précise. On y voit aussi des perturbations récurrentes en fond de courbe, qui prouvent qu’il y a encore une anisotropie mécanique dans le fil ou la suspension. C’est ainsi que cette horloge sert de banc d’essais en vue de l’amélioration de la prochaine. Car le choix à faire avec ce type de pendule n’est pas la précision de l’heure ou celle de l’effet de Foucault. Pestoline a prouvé que les deux pouvaient obtenir un bon résultat.
(Juillet 2003) Pestoline a reçu le premier prix du concours de la Kinetic Art Organization, catégorie « ingeneering ingenuity »
Ce concours, organisé à l’échelle mondiale, récompense des oeuvres d’art cinétique.
Ceux qui possèdent le logiciel MicroSet de Bryan Mumford peuvent le télécharger sur demande. Ils pourront ainsi connaître ce qui se passe au millionième de seconde dans le coeur d’un pendule de Foucault, l’effet des perturbations dues aux courants d’air, les oscillations parasites, etc. Cet échantillon couvre 5 jours de test.